Paysage scénique #1

Exposition « Post_Production 2020 » au Frac Occitanie Montpellier , sur une invitation d’Emmanuel Latreille.

Cette installation a été pensée comme un décor de théâtre, dans lequel différents plans se répondent proposant une histoire et une nouvelle déambulation dans le lieu. Le visiteur est invité à pénétrer dans cet espace et y prendre part.

Le premier plan représente le moulage d’une grille en fer forgé tirée en sucre, avec incrustations de verre polis. 100x340x15 cm.
Le second plan représente une plaque de sucre de 99 kg suspendue par quatre ficelles, prisent directement dans la masse du sucre. Neuf tournesols secs sont incrustés dans la matière. 230x260x2 cm.
Entre ces deux plans à droite, sur une étagère au mur, est présenté un verre soufflé blanc opaline translucide, 20x15x14 cm.
Cette installation composée de plusieurs sculptures, est la première autant affirmée dans mes recherches. Elle porte le numéro 1, pour annoncer les installations à venir

 

  • Paysage scénique_Hugo Bel_artiste
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Hugo Bel et la Sehnsucht visuelle
Méditation à partir d’une lettre de Van Gogh

Le travail d’Hugo Bel pourrait tout entier se situer dans le concept allemand de Sehnsucht. Ce terme intraduisible condense l’idée d’un désir qui s’attache à rechercher des images, des souvenirs perdus. Les objets dans les interventions de l’artiste sont souvent des réceptacles pour la mémoire, qui gardent la trace d’un temps en constante mutation. Parfois les objets renvoient aux individus ayant travaillé ou vécu dans le lieu, ils assument alors une valeur de « supplément de mémoire » et rendent hommage à la vie insignifiante et ordinaire des petites gens dont la voix est, et était même alors, réduite au silence, comme dans l’intervention à l’Abbaye-aux-Dames (2019). Ailleurs les objets fonctionnent comme des matrices informes qui déclenchent dans l’imaginaire du spectateur un kaléidoscope visuel d’images qui animent des objets à la nature indéterminée, entre l’organique et l’inorganique, le réel et le féérique, comme c’est le cas avec les œuvres exposées en milieu naturel Gangue et Promenons-nous dans les bois (2018-2020).
Pour mettre en forme cette dialectique de l’absence, cette dimension évanescente où le monde du fantasme vient habiter momentanément le monde des corps physiques, l’artiste a notamment recours à un procédé par lequel il crée des corps solides avec un matériau éphémère, fragile, périssable : le sucre. D’un point de vue poïétique, le sucre plonge le spectateur dans l’univers du merveilleux, du mystérieux, de la féérie. Comment ne pas penser au conte pour enfant de Hansel et Gretel et à la maison de pain d’épices qui contient uniquement des objets pâtissiers ?
A propos donc de cette métaphysique de la pâtisserie, Hugo Bel présente pour cette intervention au FRAC Montpellier deux éléments en sucre qui fonctionnent en étroite relation. L’ensemble se compose d’une large plaque suspendue (3 x 2 m) où apparaissent une douzaine de tournesols séchés, devant laquelle se trouve une grille de fer forgé coulée en sucre.
Les formes sinueuses qui se dessinent autour des tournesols et qui font écho aux arabesques irrégulières et fragiles qui animent la rambarde, de même que la luminosité immanente dont ces deux éléments de sucre semblent être doués accentuent un certain effet d’irréalité, d’« image-mirage », qui nous transmet la puissance coloriste de l’univers de Van Gogh. Ce, non pas tant par des renvois à des scènes ou des situations précises de l’œuvre du Maître, mais à travers une atmosphère de lumière dans laquelle le spectateur pénètre quand il se place entre les deux éléments. Cette sensation immersive de pénétrer dans un espace autre, ce partage entre un dedans et un dehors est rendu possible car cet espace est construit comme une scène, comme un tableau scénographié dont l’écran lumineux des tournesols serait le fond de scène, animé par la présence du spectateur lui-même ; lorsqu’il se trouve devant la balustrade, celui-ci aura l’impression de se situer à l’extérieur, et d’être face à une fenêtre temporelle qui donne sur un ailleurs lointain, tandis que poursuivant son chemin derrière celle-ci, comme par télescopage, il aura la sensation d’avoir pénétré à l’intérieur d’un paysage sublimé par l’esprit du peintre qui hante la scène. La balustrade fonctionne ainsi comme un tremplin pour l’œil, qui amène la transition entre l’espace externe et un espace intime, enveloppant.
Quant aux tournesols littéralement fossilisés dans le sucre, ils témoignent de cet état intermédiaire du fossile entre la présence et l’absence : leur noirceur par dessèchement nous renvoie d’une part à un moment révolu de l’histoire de l’art, et d’autre part nous met face à cette image oxymorique du « soleil noir », à savoir d’une lumière nocturne, concept clé depuis Caravage avec ses clairs-obscurs exacerbés, et qu’on retrouve chez Van Gogh comme dans L’Église d’Auvers-sur-Oise où le premier plan est éclairé comme en plein jour mais dans un paysage nocturne. Cette métaphore du soleil noir réapparaît ici pour signifier la course du temps inexorable : l’artiste nous laisse imaginer ce moment de spiritualité sublime où la lumière est à son paroxysme avant le déclin. Ainsi comprend-on que, pour avoir lieu, l’instant d’explosion lumineuse doit contenir en son sein sa propre extinction : le noir, précisément le cœur des tournesols.

Félix Giloux, critique d’art des Cahiers d’art de courte-line.