Sculpture réalisée pendant ma résidence en milieu agricole avec la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou et la Coopérative Agricole des Fermes de Figeac.
Après ce premier mois de résidence, cette sculpture fut aboutie dans les locaux de France Noyer.
Images-pont #1, sucre, pigment noir, branches de charme, moto Bécane, 290x160x140 cm, 2023.
Cette recherche a été nourrie par des notions philosophiques empruntées à Bruno Latour : son concept « d’objet hybride » et ses notions de « vivant » et « non-vivant ». Le territoire agraire et les objets glanés pendant ce temps de résidence se sont mêlés à ces recherches et ont pris part à mes sculptures, conjuguant mes problématiques de travail avec ce territoire.
Celle-ci a été pensée comme un assemblage d’objets : objet du « vivant » et du « non-vivant ». Le corps en sucre était là pour lier ces notions, je souhaitais qu’elles se fondent ou s’interpénètrent, essayant de créer un objet « hybride ». Bruno Latour fait également écho aux notions philosophiques de Giorgio Agamben, parlant de zôê et de bios. La zôê étant « la nature nue » (les branches de charme) et le bios, les éléments découlant de la société créée par l’Homme (la moto bécane). Je souhaitais que ces trois éléments fusionnent et également dépouiller le corps du bios, qu’il devienne autant végétal que minéral.
En effet, dans mon travail je cherche des moyens pour que les formes se forment elles-mêmes, je cherche les accidents : créés pendant le processus de création et produits par les caractéristiques des matériaux, leurs phénomènes. Le matériau sucre accompagne la transformation de la sculpture dans le temps. Il appuie l’idée d’impermanence chère à mes recherches.
À l’heure actuelle, l’eau en excès dans le sucre continue de couler. Il est en train de se créer des stalagmites et des stalactites, symbole d’un temps géologique qui se matérialise sous nos yeux.
Le corps a été moulé à partir d’un modèle vivant grâce à de l’argile crue, une fois le modèle sorti du moule, celui-ci s’est affaissé et a donc altéré la prise d’empreinte initiale et le sucre liquide est venu à son tour créer des manques et des irrégularités dans le moule (bulles, poches d’air…).
De plus, le sucre a été teinté de pigment noir, c’est mon premier corps traité de cette manière. Il se fond alors avec la couleur de la moto bécane et épouse les courbes des branches grisâtres. Ce corps noir est gâté, comme le sucre gâte les dents, comme un cancer, une gangrène qui nous ronge de l’intérieur.
Cette sculpture est la volonté d’une union mais également un positionnement face à l’absurdité et la violence de notre époque dite «Anthropocentrée». C’est une vision sombre ou une réconciliation possible d’un après la chute, de corps fossilisés, composés de strates. Ces corps ne naissent plus du ventre d’une femme, mais sont enfantés par la Terre. Ce sont des corps qui ont pris racines, incapables de gravir les montagnes, ils observent et acceptent leur place.
Cette sculpture a donné lieu au début d’une série que j’ai nommé les « Images-pont ». Après avoir longtemps parlé de la « survivance des images », (terme né des recherches d’Aby Warburg) dans mon travail. J’ai cherché un terme plus proche de mes intuitions sur la capacité qu’ont les images (générées par une œuvre d’art) à convoquer d’autres images appartenant à notre inconscient collectif, nous reliant les uns les autres depuis le début de l’humanité. L’idée d’ « Images-pont » était alors, selon moi, toute trouvée et adéquate à mon intuition de base quant à la force et la vivacité des images.