Promenons-nous dans les bois.

Cette installation en plâtre naturel, fut réalisée en juillet 2020, pour le 5 ème Festival des bords de Vire (Normandie).
Sur une invitation de Xavier Gonzalez.

Matériaux : plâtre naturel, schiste, orties.

La présence fantomale.

L’œuvre de Hugo Bel Promenons-nous dans les bois apparaît au spectateur dans un sous-bois et entourée d’un cours d’eau, deux éléments naturels qui créent un espace abrité, protégé et presque intime. Le bruissement constant des feuilles et de l’écoulement de l’eau, de même que les ombres dansantes des feuillages sur une surface blanche et ponctuée de cavités, transmettent une sensation d’instabilité permanente, et l’image d’une forme tendant constamment à un état de déliaison.

Notre œil perçoit au premier abord un organisme blanchâtre à la nature indéterminée, oscillant entre un champignon et une forme mousseuse, spongieuse ou corallienne qui se serait anormalement répandue à la surface d’une roche. Le spectateur est tout de suite inquiété par la nature énigmatique d’une telle forme qu’il ne parvient à associer à aucun organisme vivant déjà rencontré, et qui pourtant semble respirer au même rythme que celui de la nature environnante. Ainsi cet objet à la nature non identifiable introduit subrepticement un élément surnaturel et onirique dans le paysage naturel. Sa présence demeure en partie étrangère à tout processus de reconnaissance humain et nous renvoie toujours à son existence absurde et purement matérielle, à son caractère structurel simple, modulaire, répétitif.

L’œuvre est composée de colombins de plâtre blanc superposés les uns aux autres, qui forment un maillage dont l’épaisseur monte sur plusieurs niveaux. Les dépressions qui résultent du tressage du dernier niveau sont déterminées uniquement par la forme du rocher de base, aucun choix subjectif n’a pénétré l’ensemble, de sorte à accroître cette impression d’un organisme qui grandit de manière autonome. En outre la structure stratifiée de la forme nous entraîne dans un imaginaire géologique de la stratification des temps et de la terre. Cette disposition visuelle mime ainsi une temporalité ancestrale, nous donnant l’impression d’une forme qui se serait développée très lentement à travers les âges.

Cette lenteur temporelle biologique fait écho à la lenteur de nos tentatives de reconnaissance ou d’identification. Etant donné cette incapacité dans laquelle nous sommes à attribuer une identité stable à l’objet sous nos yeux, l’œuvre nous oblige à observer un temps de vision prolongé durant lequel notre cerveau s’évertue dans des associations d’images figuratives de toute sorte : cette œuvre nous met peut-être face à notre crainte de l’informe, qui nous pousse à vouloir subitement combler un manque de sens par des images qui nous sont familières.
En ce sens l’œuvre de Hugo Bel fonctionne comme un embrayeur esthétique : elle active les processus paréidoliques des spectateurs, c’est-à-dire la propension de notre cerveau à reconnaitre des formes figuratives ou fonctionnelles dans une matrice abstraite (les spectateurs ont pu voir ici notamment différents animaux, des tressages de cordes, des voiles). L’image d’un système de cordage, d’un filet, renvoie à ses propriétés de transparence, de diaphanéité, à l’idée d’une forme intangible et évanescente qui précisément ne se laisse jamais fixer dans un objet univoque.

On dira que chez Hugo Bel la sublimation de l’objet, presque au sens alchimique du terme, se situe à plusieurs niveaux. A un niveau symbolique : l’œuvre oscille entre d’une part une existence biologique par son caractère d’organisme vivant s’adaptant aux conditions d’un milieu naturel, et d’autre part une existence mythologique : tel un fantôme, l’œuvre est hantée par une multiplication de formes figuratives qui la pénètrent aléatoirement et se superposent entre elles ; elle semble plonger ses racines dans des temps anciens et provenir d’un ailleurs féérique qui nous est impénétrable. De même, elle condense en elle les quatre éléments primaires dans la poétique bachelardienne : l’eau, par sa surface ondulée et mouvante, le feu et l’air, par son caractère aérien et par l’évocation de l’image d’un filet de pêche, enfin la terre, par son renvoi à une dimension géologique de l’écoulement du temps.
Une sublimation à un niveau formel : cette forme de plâtre nie sa nature de matériau brut précisément en laissant libre cours à nos propres projections mentales, de même que par un imaginaire aériforme et organique qui fait basculer les frontières entre l’animé et l’inanimé et se libère du caractère pondéreux du plâtre.

A un niveau épistémologique dans la discipline histoire de l’art : par le tressage de colombins, l’œuvre forme un motif en grille. La structure de la grille a été l’un des dispositifs fondamentaux de l’art moderniste, de Mondrian à Ellsworth Kelly, dans le questionnement des artistes sur la nature de l’art et de ses concepts fondamentaux purement optiques : la ligne, la surface, la planéité, la couleur. La grille a été le moyen pour penser ce processus de dépouillement de l’œuvre en deux dimensions, censé révéler sa nature ultime, son essence : une surface plane dont la grille venait redoubler la forme tressée de la toile. Dans la démarche de Hugo Bel, le motif de la grille vient se refléter dans l’œil effaré du moderniste pour signer la fin de l’œuvre comme la manifestation d’un pur concept rationnel. L’artiste réactualise l’idée de C. Greenberg de l’œuvre d’art comme « mirage optique », pour l’épaissir de tout un imaginaire anthropologique, mais surtout pour lui rendre tout son caractère organique et instable, par les irrégularités des filaments et par les coulures de matière sur le rocher qui confèrent un aspect presque viscéral à l’ensemble.
Cette œuvre est un miroir sémantique : elle démultiplie les associations d’images qui s’emboîtent entre elles, où la stratification des colombins reflète la stratification des sens.

Félix Giloux, critique d’art des Cahiers d’art de courte-line.

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